Des femmes maliennes battent le blé à Ségou dans le centre du Mali. AP Photo/Jerome Delay
La guerre en Ukraine va t-elle provoquer une famine mondiale ? L’ONU craint « un ouragan de famines », essentiellement dans des pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie. Qu’en est-il exactement ? L’éclairage de Nicolas Bricas, chercheur, socio-économiste de l’alimentation au Cirad et titulaire de la chaire Unesco alimentations mondiales. Entretien.
Nicolas Bricas, chercheur, socio-économiste de l’alimentation au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et titulaire de la chaire Unesco alimentations mondiales
: En Afrique subsaharienne, le blé est consommé surtout en milieu urbain au petit déjeuner, en sandwich et plus rarement en accompagnement de plat . Il y a là l’héritage de la colonisation. Le pain y est consommé sous forme de baguette dans les anciennes colonies françaises ou sous forme de pain de mie dans les pays anglophones.D’autres pays ont cependant vu leurs revenus augmenter grâce à la montée des prix du pétrole et du gaz. Par exemple, l’Algérie importe du blé mais exporte du gaz. Ces pays qui exportent des produits pétroliers peuvent plus faire face au surcoût du prix du blé.
Et au sein des pays d’Afrique subsaharienne, il faut distinguer les milieux ruraux et les milieux urbains. Le blé est davantage consommé en milieu urbain. Il est vrai qu’ en milieu urbain, les problématiques de vie chère et de montée des prix restent très sensibles politiquement.
Le prix du blé flambe sur les marchés internationaux du fait de la rétention des stocks bloqués dans les ports ukrainiens et de la limitation des exportations russes. Mais est-ce que cela va créer pour autant une famine mondiale ? Je ne le crois pas.
Une montée des prix du riz provoquerait de réelles difficultés pour des populations déja appauvries par les augmentations des prix de l’énergie et de tout ce qui en est très dépendant : transports, etc. Cette tension sur les prix, la vie chère, est vive en milieu urbain.
Une montée des prix du riz provoquerait de réelles difficultés pour des populations déja appauvries par les augmentation des prix du pétrole, de l’énegie et des transports. Cette tension sur les prix, la vie chère, est vive en milieu urbain.

Mais attention certains acteurs de l’agro-industrie ont tendance à crier à la famine pour relancer la production alimentaire et cesser de se préoccuper de la question environnementale. Cela permet de détourner l’attention de la question des moyens de production très intensifs en ressources non renouvelables mis en œuvre. Les premiers qui crient au risque de famine sont les premiers à défendre un modèle de production intensif et industriel à base d’engrais et de pesticides et de tout l’appareillage industriel. Il faut relativiser ces cris d’alarme.
TV5MONDE : Lorsque Macky Sall, président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine, se rend pour voir Poutine … il évoque toutefois la question des céréales russes et du blé.
Mais dans les villes sénégalaises, riz surtout et blé représentent un tiers des dépenses alimentaires des ménages, le second tiers sont les produits animaux (poisson, viande, produits laitiers, oeufs) et le troisième tiers tout le reste : légumes, huile, condiments, fruits, boissons, etc. Et les milieux urbains sont plus sensibles politiquement.
Ce discours ne fait pas plaisir aux éleveurs. Au sein du monde agricole, les céréaliers gagnent en ce moment beaucoup d’argent et les éleveurs beaucoup moins. Des mécanismes de solidarité pourraient être mis en place entre céréaliers et éleveurs.
TV5MONDE : Comment alors expliquer ce narratif sur une future pénurie alimentaire mondiale ?
Les acteurs du monde agricole industriel utilisent également cette menace, comme en 2008 et en 2011, pour détourner l’attention des préoccupations environnementales au nom d’une nouvelle priorité de nourrir la planète. Il faut rappeler qu’à l’échelle planétaire nous produisons 30% de plus que nos besoins nutritionnels.
Un troisième type d’acteurs utilise la réthorique de la famine mondiale, ce sont les médias. On joue sur le registre de la peur. On évoque le risque de famine mondiale pour impressionner. Il y a une compétition entre les médias pour capter l’attention du public.
La mission de la FAO consiste à aider les pays à augmenter leur production agricole. Cette institution a aussi besoin d’allerter sur les crises alimentaires pour rappeler le rôle qu’elle peut avoir pour augmenter la production agricole dans les pays qui dépendent trop des importations alimentaires, dans une époque où le développement économique s’occupe moins d’agriculture qu’autrefois. La FAO et le PAM sont des institutions en difficulté face à d’autres enjeux que sont les questions de santé, de pandémie, d’éducation ou d’environnement.
LE JV2 AVEC AFP