Le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi lors de la COP26 à Glasgow le 2 novembre 2021. © Paul Ellis/Pool Photo via AP
Le président de la RD Congo Félix Tshisekedi a affirmé dimanche 5 juin n’avoir « aucun doute » sur le soutien du Rwanda à la rébellion du M23 venue « agresser » son pays. Il a cependant répété son souhait d’entretenir des relations apaisées avec son voisin. Cette déclaration risque-t-elle d’aggraver la crise entre les deux pays ? L’analyse de Reagan Miviri du Groupe d’Étude sur le Congo.
Cette nouvelle crise congolo-rwandaise était au menu de discussions ces 4 et 5 juin entre Félix Tshisekedi et son homologue et voisin congolais Denis Sassou Nguesso. Ils se sont rencontré à Oyo, à quelque 400 km au nord de Brazzaville.
À l’issue de cette rencontre, pour la première fois, le président Tshisekedi évoque publiquement cette crise. « Aujourd’hui c’est clair, il n’y a pas de doute, le Rwanda a soutenu le M23 pour venir agresser la RDC » a-t-il déclaré à la radio-télévision publique congolaise.
TV5MONDE : Cette déclaration du président a-t-elle une résonnance particulière ? Est-ce la première fois que le gouvernement de la RDC accuse nommément le Rwanda ?
Reagan Miviri, juriste au Groupe d’Étude sur le Congo : Pas tout à fait. Le ministre des Affaires étrangères de RDC a formulé ces accusations quand il était avec le ministre des Affaires étrangères rwandais, lors d’une séance sur la lutte contre le terrorisme au niveau africain au sommet extraordinaire de l’Union africaine qui s’est tenu à Malabo, en Guinée-Équatoriale du 25 au 28 mai. Le ministre congolais avait interpellé ses pairs sur ces questions-là. Et à ce moment, il n’y avait pas beaucoup plus d’éléments qui permettaient d’affirmer cela.
Il l’a aussi dénoncé au Conseil de sécurité de l’ONU. L’armée congolaise ensuite a présenté des éléments qui attestaient de ce soutien.
TV5MONDE : Cette amorce de dialogue est dûe à une médiation qui a été lancée par le président en exercice de l’Union africaine, le président du Sénégal Macky Sall ?
Reagan Miviri : Macky Sall a parlé individuellement avec les deux présidents. Il a rencontré le président congolais et il a parlé par visioconférence avec le président rwandais. Ils sont tous les deux d’accord pour se rencontrer. Il reste à définir sur quelle base ils vont se parler, quels seront les thèmes abordés, et quelles sont les positions des uns et des autres avec lesquelles on débute le dialogue.
TV5MONDE : Quelles sont les institutions qui peuvent permettre ce dialogue régional ?
Reagan Miviri : Il y a le mécanisme de vérification de la CIRGL (Conférence internationale sur la Région des Grands-Lacs), dont la RDC, l’Angola et le Rwanda font partie qui va permettre d’amorcer ce dialogue.
La CIRGL comprend douze États membres, qui sont l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la République du Sud Soudan, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie.
Elle a été organisée à partir de 2000, suite aux nombreux conflits politiques qui ont marqué la Région des Grands Lacs, notamment le génocide rwandais en 1994.
En 2000, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a appelé la tenue d’une conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la Région des Grands Lacs. Au cours de la même année, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs fut établie conjointement par le Secrétariat des Nations Unies et l’Union Africaine à Nairobi (Kenya).
Puis le Secrétariat Exécutif de la CIRGL est inauguré en mai 2007 à Bujumbura.
Dans le but d’assurer le suivi et la mise en œuvre des décisions prises par le Sommet et le Comité Interministériel Régional, un mécanisme national de coordination (MNC) est mis en place dans chaque État Membre. Les mécanismes sont composés de représentants de la société civile, des femmes et des jeunes
Tant que le mécanisme n’a pas encore été saisi et qu’il ne s’est pas prononcé, nous ne pouvons pas nous avancer. Je suppose qu’ils vont donner la primeur du résultat de leurs enquêtes plutôt au président angolais qui est aussi le président en exercice de la CIRGL. Et c’est aussi pour ça qu’il est à l’initiative de ce dialogue. L’Union africaine a demandé à une organisation sous-régionale de s’occuper de cette crise.
Le président angolais João Lourenço connaît la région tout en ayant du recul. Il est un peu plus éloigné du problème et peut être plus neutre que par exemple l’Ouganda qui intervient déjà en RDC.
Pour l’instant la réponse militaire semble la seule qui ait encore cours. Il faudra que le dialogue et toutes les procédures diplomatiques prennent le relais pour qu’on puisse résoudre le problème sans aller dans une escalade qui risque d’embraser toute la sous-région.
TV5MONDE : Mais le Rwanda accuse les forces armées congolaises d’avoir tiré des roquettes sur son territoire.
Reagan Miviri : Oui, effectivement, le Rwanda a alerté le mécanisme de vérification de la CIRGL à ce sujet. La RDC en retour affirme avoir des preuves de la présence militaire rwandaise sur son territoire. Ils ont présenté des militaires rwandais qui ont été arrêtés par la population locale à plus de 20 km de la frontière rwandaise. C’était la preuve ultime du Congo pour montrer cette présence militaire. Ils ont déclaré qu’ils faisaient partie d’un groupe plus important de l’armée rwandaise, qu’ils se sont perdus. Cela atteste que l’armée rwandaise était présente sur le sol congolais.
TV5MONDE : Une médiation diplomatique pourra-t-elle aboutir dans ce contexte ?
Reagan Miviri : Il faut attendre cette rencontre entre les deux chefs d’État en Angola.
Mais dans le cadre des Nations unies il y a aussi des initiatives. Par une source diplomatique, nous avons appris que certains pays ont des entretiens avec les autorités des deux pays de manière à avancer, mais dans une diplomatie silencieuse. Pour le moment, on ne peut pas en dire d’avantage.
LE JV2 AVEC AFP